Théorème de Kronecker

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Cet article concerne la structure des groupes abéliens finis. Pour d'autres notions ou résultats portant le nom de Kronecker, voir Leopold Kronecker.

Leopold Kronecker

En algèbre et plus particulièrement en théorie des groupes, le théorème de structure des groupes abéliens finis est aussi appelé théorème de Kronecker[réf. souhaitée]. Il affirme que tout groupe abélien fini est isomorphe à un produit direct de groupes cycliques.

Ce théorème fut démontré par Leopold Kronecker en 1870[1]. En 1868, Ernst Schering (de) l'avait démontré pour certains « groupes de classes ». La démonstration de Kronecker répétait celle de Schering, mais dans un cadre plus abstrait et donc plus général[2].

Le théorème s'étend aux groupes abéliens de type fini. C'est un cas particulier du théorème des facteurs invariants.

Énoncé du théorème

Soit G un groupe abélien fini.

Il existe une unique suite (a1,a2,...,ak) d'entiers > 1 telle que G soit isomorphe au produit direct des groupes cycliques de cardinal les différents éléments de la suite

G Z / a 1 Z × Z / a 2 Z × × Z / a k Z {\displaystyle G\simeq \mathbb {Z} /a_{1}\mathbb {Z} \times \mathbb {Z} /a_{2}\mathbb {Z} \times \cdots \times \mathbb {Z} /a_{k}\mathbb {Z} }

et que ai+1 divise ai pour tout entier i entre 1 et k – 1.

Les éléments de cette suite sont appelés facteurs invariants de G.

Démonstration

Il existe de nombreuses manières de démontrer ce théorème. Une des méthodes les plus expéditives utilise la théorie des représentations des groupes. Il en existe d'autres utilisant par exemple les caractères.

La démonstration proposée ici reste dans le cadre strict de la théorie des groupes. L'existence d'une décomposition se fonde sur le lemme 1 suivant, qui utilisera le lemme 2 :

Lemme 1 — Pour tout groupe abélien fini G d'exposant e, tout sous-groupe cyclique d'ordre e de G est facteur direct dans G.

Démonstration du lemme 1

Soit C un tel sous-groupe. Raisonnons par récurrence sur le nombre minimal k d'éléments qu'il faut adjoindre à C pour engendrer G. Si k = 0 alors C = G, facteur direct dans lui-même. Supposons k > 0, C engendré par g0 et G engendré par g0, … , gk et (par hypothèse de récurrence) C facteur direct dans le sous-groupe G' engendré par g0, … , gk–1. Il existe donc un projecteur φ {\displaystyle \varphi '} défini sur G' dont l'image est égale à C. Pour l'étendre en un projecteur φ {\displaystyle \varphi } défini sur G, on pose

x G y g k ψ ( x , y ) = φ ( x ) + φ ( y ) , {\displaystyle \forall x\in G'\quad \forall y\in \langle g_{k}\rangle \quad \psi (x,y)=\varphi '(x)+\varphi ''(y),}

pour un morphisme φ : g k C {\displaystyle \varphi '':\langle g_{k}\rangle \to C} convenablement choisi. Plus précisément, la condition sur φ {\displaystyle \varphi ''} est que ψ : G × g k C , ( x , y ) φ ( x ) + φ ( y ) {\displaystyle \psi :G'\times \langle g_{k}\rangle \to C,(x,y)\mapsto \varphi '(x)+\varphi ''(y)} se factorise par + : G × g k G {\displaystyle +:G'\times \langle g_{k}\rangle \to G} , pour que l'application φ {\displaystyle \varphi } soit bien définie sur G ( φ {\displaystyle \varphi } sera alors un projecteur d'image C, donc G sera somme directe de C et du noyau de φ {\displaystyle \varphi } ).

La condition pour que φ {\displaystyle \varphi } se factorise par + est qu'il s'annule sur le noyau de ce morphisme +, c'est-à-dire sur l'ensemble des couples (h, –h) quand h parcourt le sous-groupe H := G' ∩ ⟨gk⟩, autrement dit que φ {\displaystyle \varphi ''} coïncide sur H avec φ {\displaystyle \varphi '} . L'ordre de ⟨gk⟩ divise celui de C (car d'ordre e = exp(G)) donc un tel φ {\displaystyle \varphi ''} existe toujours, d'après le lemme 2 suivant.

Lemme 2 — Soient e et m deux entiers > 0 tels que m divise e, et H un sous-groupe du groupe cyclique Z m {\displaystyle \mathbb {Z} _{m}} . Tout morphisme ρ : H Z e {\displaystyle \rho :H\to \mathbb {Z} _{e}} s'étend en un morphisme ρ : Z m Z e {\displaystyle \rho ':\mathbb {Z} _{m}\to \mathbb {Z} _{e}} .

Démonstration du lemme 2

Z m {\displaystyle \mathbb {Z} _{m}} s'identifiant à un sous-groupe de Z e {\displaystyle \mathbb {Z} _{e}} , il suffit d'étendre ρ {\displaystyle \rho } à Z e {\displaystyle \mathbb {Z} _{e}} (on pourra ensuite restreindre ce prolongement au sous-groupe Z m {\displaystyle \mathbb {Z} _{m}} ). On peut donc supposer sans perte de généralité que m = e. Soit d l'ordre de H. Alors d ρ ( H ) = ρ ( d H ) = ρ ( 0 ) = 0 {\displaystyle d\rho (H)=\rho (dH)=\rho (0)=0} donc ρ ( H ) H {\displaystyle \rho (H)\subset H} , autrement dit, ρ {\displaystyle \rho } est un endomorphisme du groupe cyclique H, noté additivement. C'est donc simplement la multiplication par un certain entier. On peut alors définir ρ {\displaystyle \rho '} sur Z e {\displaystyle \mathbb {Z} _{e}} comme la multiplication par ce même entier.

Démonstration du théorème

Raisonnons par récurrence sur l'ordre n de G.

Existence d'une décomposition :

Si n = 1, la suite vide convient. Supposons n > 1 et l'existence démontrée pour tous les groupes abéliens finis d'ordre strictement inférieur à n. Soient G un groupe abélien fini d'ordre n, et e son exposant. Alors G possède un sous-groupe cyclique C1 d'ordre e et (d'après le lemme 1) un sous-groupe K tel que G = C1×K. L'hypothèse de récurrence montre que K est somme directe d'une suite de sous-groupes cycliques C2, … ,Ck telle que pour tout entier i compris entre 2 et k – 1, l'ordre de Ci+1 divise celui de Ci. De plus, l'ordre de C2 divise celui de C1, par définition de e et C1.

Unicité de la décomposition :

Pour n = 1, l'unicité est immédiate. Supposons n > 1 et l'unicité démontrée pour tous les groupes abéliens finis d'ordre strictement inférieur à n. Soient G un groupe abélien fini d'ordre n et G = C 1 C k = C 1 C {\displaystyle G=C_{1}\oplus \dots \oplus C_{k}=C'_{1}\oplus \dots C'_{\ell }} deux décompositions de G en sommes directes de sous-groupes cycliques dont les ordres (a1, … , ak), (b1, … , b) vérifient les conditions du théorème. Soient x un générateur de C1 et (y1, … , y) ses composantes dans la seconde décomposition. L'ordre de x est égal à l'exposant e de G donc il existe au moins un indice j0 tel que yj0 est d'ordre e (remarquons qu'alors, b1 = … = bj0 = e). En remplaçant C'j0 par C1 dans la seconde décomposition, la somme est alors encore directe et de l'égalité i C i = C 1 j j 0 C j {\displaystyle \bigoplus _{i}C_{i}=C_{1}\oplus \bigoplus _{j\neq j_{0}}C'_{j}} , on déduit, en quotientant par C1 : i > 1 C i j j 0 C j {\displaystyle \bigoplus _{i>1}C_{i}\simeq \bigoplus _{j\neq j_{0}}C'_{j}} donc (par hypothèse de récurrence) (a2, … , ak) = (b1, … , bj0–1, bj0+1, … , b), si bien que (a1, … , ak) = (b1, … , b).

Applications

  • Dans la décomposition ci-dessus, l'exposant de G est égal à a1 et l'ordre de G à a1ak. Par conséquent, un groupe abélien fini est cyclique dès que son ordre est :
  • Deux groupes abéliens finis sont isomorphes dès que le nombre d'éléments de chaque ordre est le même pour ces deux groupes. En effet, on peut retrouver les facteurs invariants à partir de cette donnée[4]. La condition « abéliens » est indispensable : il existe par exemple[5], pour tout nombre premier impair p, deux groupes d'ordre p3 et d'exposant p : le groupe abélien (ℤp)3 et le groupe de Heisenberg sur Fp.

Notes et références

  1. (de) L. Kronecker, « Auseinandersetzung einiger Eigenschaften der Klassenzahl idealer complexer Zahlen », Monatsber. K. Akad. Wissenschaft Berlin,‎ , p. 881-889 (zbMATH 02721142, lire en ligne).
  2. Thomas Hawkins, The Mathematics of Frobenius in Context: A Journey Through 18th to 20th Century Mathematics, Springer, 2013, p. 299 et suivantes, spécialement 300, 301 et 311, partiellement consultable sur Google Livres.
  3. (en) E. B. Vinberg, A Course in Algebra, AMS, coll. « GSM » (no 56), , 511 p. (ISBN 978-0-8218-3413-8, lire en ligne), p. 336-337.
  4. Cet exercice corrigé sur Wikiversité procède ainsi. Pour d'autres preuves, voir (en) Vipul Naik, « Finite abelian groups with the same order statistics are isomorphic », sur groupprops.subwiki.org et (en) Ronald McHaffey, « Isomorphism of finite abelian groups », Amer.Math. Monthly, vol. 72, no 1,‎ , p. 48-50 (JSTOR 2313001).
  5. McHaffey 1965.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Serge Lang, Algèbre [détail des éditions]
  • Jean-François Labarre, La théorie des groupes, PUF, 1978
  • (en) Gabriel Navarro, « On the Fundamental Theorem of finite abelian groups », Amer. Math. Monthly, vol. 110, no 2,‎ , p. 153-154 (JSTOR 3647777)
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